dimanche 2 janvier 2022

L'histoire du plomb dans l'essence et le dilemme du contrôle


Source : Wikimedia Commons

Les stations-service en Algérie ont cessé de vendre de l’essence avec du plomb en aout 2021, marquant la fin de l’utilisation de cet élément (sous forme de tétraéthyle de plomb) comme additif pour améliorer la performance des moteurs à combustion interne. Comment expliquer qu’on ait pu ainsi permettre, pendant des décennies, l’émission de millions de tonnes de cet élément fortement neurotoxique dans l’atmosphère ? Comme l’explique Bill Kovari, la toxicité du plomb était déjà bien connue lorsque General Motors et la Standard OIl l’ont introduit comme additif à l’essence au début des années 1920. Les experts en santé publique ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme, mais ne faisaient de toute évidence pas le poids devant une industrie très puissante qui refusait de considérer toute alternative au plomb comme agent antidétonant.

On pourrait voir dans l’histoire du plomb dans l’essence une illustration du dilemme du contrôle, une thèse élaborée par David Collinridge (1980). Selon Collingridge, le contrôle social des technologies souffre d’un double problème. Le premier en est un d’information : les impacts d’une technologie sont difficiles à prédire et ne se matérialisent que lorsqu’elle est très développée et largement diffusée. Le deuxième en est un de pouvoir : une technologie largement diffusée est difficile à changer ou contrôler parce qu’elle est liée à des intérêts bien « ancrés ». Pourtant dans le cas du tétraéthyle de plomb, toute l’évidence nécessaire sur la toxicité du produit était disponible dès sa création. Contrairement à ce que semble sous-entendre Collingridge, le problème de l’information n’est pas qu’une question de combler une absence de savoir ou connaissance. Quand des acteurs sociaux puissants s’acharnent à nier ou miner toute forme d’évidence qui va à l’encontre de leurs intérêts, le problème de l’information est aussi un problème de pouvoir.

Collingridge, D. (1980). The social control of technology. New York : St. Martin’s Press.

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